Les oubliés du discours sur les écrans : une réflexion sur les enfants handicapés

Récemment, un extrait d’une intervention de la psychologue Sylvie Chokron sur France Culture (datant de novembre 2024) qui ressurgit sur les réseaux sociaux nous a profondément interpellés. En qualifiant d’"intelligent" le bébé qui explore son environnement par des expériences sensori-motrices et en dénonçant l’usage précoce des écrans, elle a, peut-être involontairement, renforcé un cadre normatif qui invisibilise une partie considérable des enfants : ceux qui ne peuvent pas explorer physiquement leur environnement, ceux pour qui la technologie n’est pas un obstacle au développement, mais au contraire un levier indispensable à leur inclusion et à leur communication.

Une vision excluante du développement infantile

Définir le développement intellectuel d’un enfant selon sa capacité à effectuer des expériences motrices est une approche réductrice, qui fait fi de la diversité des parcours de développement. Pour les enfants atteints de paralysie cérébrale, d’amyotrophie spinale ou d’autres conditions limitant leur mobilité, le monde ne s'explore pas uniquement par le toucher ou le déplacement, mais aussi par le regard, l'écoute, et parfois même à travers des outils technologiques conçus pour leur permettre d'interagir avec leur environnement.

En insistant sur l’importance exclusive du développement sensori-moteur dans l’épanouissement intellectuel, on exclut de fait ces enfants du champ de la "normalité" cognitive. Or, ces enfants ne sont ni moins intelligents, ni moins curieux. Ils développent simplement d’autres stratégies d’apprentissage.

La technologie : outil d'exclusion ou d'inclusion ?

Dénoncer les écrans de manière systématique revient à nier leur apport crucial pour de nombreux enfants en situation de handicap. Pour certains, une tablette est bien plus qu’un simple support de divertissement : c’est un moyen de communication (via la Communication Alternative et Améliorée, ou CAA), un outil d’apprentissage adapté, un espace d’interaction sociale.

Lorsqu'un enfant non verbal trouve dans une tablette le seul moyen de s’exprimer, peut-on vraiment parler de "nuisance" ? Lorsque les interactions réelles sont limitées par des troubles sensoriels ou moteurs, peut-on considérer qu'un écran est une "mauvaise" expérience ? Il est primordial d’aborder cette question avec nuance et de reconnaître que les nouvelles technologies, loin d'être une menace uniforme, sont parfois une opportunité inestimable.

Une approche binaire qui invisibilise 15 % des enfants

Dans la population infantile, environ 15 % des enfants sont en situation de handicap. C’est une part considérable, qui devrait faire partie des réflexions lorsqu’on élabore des discours généralistes sur le développement de l’enfant. En oubliant ces enfants, on perpétue leur exclusion. Ce n'est pas une simple question de rhétorique : les idées reçues sur le développement cognitif influencent les politiques publiques, les recommandations pédagogiques, et in fine, l’accès à des solutions adaptées.

L’objectif n’est pas de nier l’importance d’une exploration physique du monde pour les enfants qui le peuvent, ni de prôner une surexposition aux écrans. Mais une analyse plus adaptée et nuancée du développement de l’enfant est essentielle. Il est temps d’abandonner les discours qui enferment dans des cases et qui oublient celles et ceux qui en débordent.

Un enfant qui ne peut pas toucher le monde avec ses mains peut le comprendre, l’explorer et l’aimer autrement. Et cela aussi, c’est une intelligence qu’il faut reconnaître.

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