L’art comme thérapie : comment l’expression artistique aide lesenfants handicapés à s’épanouir
L’art, qu’il soit créé ou consommé, est-il davantage thérapeutique auprès des enfants en situation de handicap ?
Quels sont les bienfaits de l’art sur le développement émotionnel et cognitif des enfants handicapés ? Comment éviter que des soucis d’accessibilité soient encore aujourd’hui un frein à l’entrée dans les lieux d’arts ? Trois acteurs de l’univers artistique inclusif témoignent.
Rendre les lieux d’art accessibles
Pour pouvoir apprécier l’art et y être confronté, encore faut-il pouvoir y accéder. Les musées et autres lieux d’art, à l’instar de Beaubourg, du MAC VAL ou du musée d’Orsay, s’adaptent petit à petit aux adultes et enfants en situation de handicap. Mais de quelle façon ?
Rachel Chenu est coordinatrice de l’accessibilité, de l’inclusion et des publics spécifiques dans la Métropole de Saint-Étienne. En dehors de l’accessibilité aux bâtiments culturels (par ascenseurs, rampes, ou encore prêts de fauteuils roulants), elle veille également à améliorer le parcours de visite pour les enfants et leurs parents.
« Lors d’une visite en autonomie en famille, on peut mettre en place sur le site Internet du musée un scénario social de la visite, afin de familiariser l’enfant à un environnement inconnu. Mais également une carte sensorielle qui indique les zones bruyantes, peu ou très éclairées, ou avec beaucoup d’affluence, afin que les parents puissent adapter la visite aux besoins sensoriels de l’enfant. »
D’autres adaptations sont possibles, comme mettre en place un parcours enfant en Langues des signes française (LSF), en audiodescription, ou en Facile à lire (une méthode de langage simplifié), avec une application et un livret-jeu. « On peut parfois aussi fournir un sac de régularisation sensoriel avec un casque anti-bruit, des lunettes de soleil, des fidgets et des reproductions d’œuvres à manipuler, » poursuit Rachel Chenu.
En ce qui concerne les visites commentées ou les ateliers, des adaptations sont également envisagées, comme des visites tactiles et sensorielles pour les enfants avec un handicap visuel, un parcours ludique, court et rythmé pour les enfants avec un handicap intellectuel, ou encore des visites ou ateliers en LSF pour les enfants sourds signants.
« Il est aussi possible d’utiliser des pictogrammes CAA ou Makaton pendant la visite pour communiquer avec les enfants, » explique la coordinatrice, « et d’adapter les ateliers avec des chaises à accoudoirs, des tables réglables en hauteur pour les fauteuils roulants, des ciseaux ergonomiques, des crayons à gros manches, ou encore un imagier détaillant les étapes de l’atelier pour les enfants avec des troubles dys ou un trouble du spectre autistique (TSA). »
Proposer une expérience immersive
Pour immerger les enfants dans l’art, il est essentiel qu’ils fassent partie intégrante de l’expérience. C’est l’idée qu’a développée Noémie Ganem, fondatrice de l’association It Is Now, en partenariat avec la Fondation Art Explora.
« Mon fils est polyhandicapé, à un niveau tellement élevé qu’on ne sait pas très bien ce qu’il voit, il ne peut pas fixer du regard. Ce qui fonctionne avec lui, c’est l’art numérique multisensoriel. Au Louvre, je ne sais pas ce qu’il voit. Mais dans une expérience immersive, plus les sens sont stimulés, avec des contrastes importants, des couleurs très fortes, plus il réagit. »
Sa propre expérience de parent d’enfant en situation de handicap lui a donné l’impulsion de fonder son association et de collaborer avec des artistes numériques pour réaliser des œuvres interactives et inclusives à installer dans des hôpitaux pour enfants. Ces installations associent jeux de lumière, effets sonores, mais aussi capteurs de mouvements afin que les enfants puissent participer. Elles ont aujourd’hui été déployées dans 11 hôpitaux en France et en Espagne. « On ramène du beau dans des endroits assez anxiogènes pour les familles, cela permet de créer du lien, de donner de la joie, tout le monde peut participer. »
Noémie Ganem tient toutefois à ne pas parler d’art-thérapie. « On ne dit pas gym-thérapie mais seulement gym même si c’est thérapeutique. Pour l’art c’est pareil, ce n’est pas de l’art-thérapie, c’est de l’art tout court, de l’art pour l’art, qui d’ailleurs bénéficie à tout le monde en général. Les enfants handicapés n’en tirent pas plus de bienfaits que les autres. Mais en cas de polyhandicap cognitif, les œuvres immersives fonctionnent mieux selon mon expérience. Un enfant qui ne réagit pas beaucoup d’habitude se met à crier, à bouger la tête, à être excité, il se passe quelque chose, ça l’imprègne, ça le rend heureux ! »
Les bienfaits de l’art pour les enfants handicapés
« L’art permet à tous les enfants, notamment à ceux ayant des difficultés à communiquer par la parole, de s’exprimer autrement. Nous n’observons pas de grande différence entre les enfants neurotypiques et ceux en situation de handicap, » explique Romain Goutagneux, responsable communication du Réseau Môm’artre, association d’éducation artistique et culturelle déployée dans plusieurs régions françaises.
Il remarque toutefois que l’art peut aider à améliorer la concentration et l’attention, et que la diversité des disciplines artistiques proposées (arts plastiques, théâtre, danse, musique) stimule la motivation et l’engagement des enfants. « Sur le plan cognitif, les outils artistiques comme les pinceaux ou l’argile, et le travail en groupe, encouragent chacun à utiliser ses capacités sans crainte d’être jugé. »
Pour accompagner au mieux les enfants en situation de handicap, l’association travaille avec une référente handicap qui forme les équipes, notamment aux troubles neurodéveloppementaux (TSA, trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, troubles dys). L’usage de casques anti-bruit, d’outils visuels et de communication contribuent également à faire des ateliers proposés un espace accueillant pour tous les enfants.
De son côté, Rachel Chenu a remarqué que les visites de musées apportent beaucoup aux enfants en situation de handicap. « Il est souvent arrivé qu’un enfant se révèle totalement lors d’une visite ou lors d’un atelier de pratique artistique au musée. L’art fait naître des émotions, des réactions, et lui permet de les exprimer avec d’autres moyens que le langage verbal. »
Elle loue également les bienfaits des ateliers artistiques, qui permettent de mobiliser les capacités cognitives des enfants dans un contexte qui diffère du quotidien. « Cela permet de tester d’autres approches pour développer les compétences cognitives, intellectuelles et sociales de l’enfant. »
Si l’art est thérapeutique pour tous les enfants, et tous les adultes, il offre aux porteurs de handicap une pluralité de moyens d’expression salutaires, sur le plan émotionnel comme sur celui de la communication.