Maman, j’ai triché au contrôle…
Chantal Schmitt, 52 ans, est sociologue et mère de 3 enfants: Paul (15 ans), Agathe (14 ans) et Hector (11 ans). Son petit dernier est autiste. Au-delà de son statut de mère d'un enfant différent, Chantal explore les nuances universelles de la maternité. Elle évoque les doutes, les remises en question, les joies immenses et les petits bonheurs du quotidien qui façonnent l'identité de chaque mère. Son témoignage devient ainsi une ode à la résilience et à la force intérieure que puisent les femmes dans l'amour inconditionnel qu'elles portent à leurs enfants. Retrouvez son édito en exclusivité sur All Kids Are Cool Kids.
Ce soir, je vais dîner dehors avec Hector, mon fils de 11 ans. Je lui propose de choisir entre le fast-food ou le restaurant japonais. Choisir a toujours été difficile pour lui, je ne sais pas exactement pour quelles raisons. Il parait que c’est une compétence sociale qui fait défaut à beaucoup de personnes autistes. Je l’encourage alors à choisir le japonais qui a ma préférence. Il a lui-même récemment pris goût aux makis.
Je profite du contexte de face à face au restaurant pour entamer une petite discussion sur sa journée d’école. La conversation est également un art complexe pour lui : poser des questions adaptées au contexte, développer ses réponses au-delà de l’information utile, comprendre l’implicite ou le
second degré, décoder le non verbal… Des compétences sociales qui doivent se travailler pour tous les enfants certes, mais pour lui, autiste, en particulier.
“Comment s’est passée ton évaluation en italien aujourd’hui ?
- Bien.” Réponse efficace, brève, sans surprise. Il ajoute néanmoins après quelques secondes d’hésitation.
- J’ai triché
Je le regarde avec de grands yeux. Ses joues ont légèrement rosis.
“Tu as triché ? Comment ça, tu as triché ?
Je n’étais pas sûre qu’il attribuait la même signification à ce terme que moi.
- Oui, j’ai demandé à Mohamed qu’il me donne des réponses. Il était assis à côté de moi.
Étonnée, je continue à l’interroger :
“Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
“Je n’étais pas sûr de certains mots. Et puis tout le monde a triché autour de moi.”
Sidérée, je me demande comment réagir à cette confidence ? En tant que parent, je dois évidemment lui apprendre qu’il ne doit pas tricher, que ce n’est pas bien. Le système scolaire sanctionne les enfants qui trichent.
C’est la règle pour tous… enfin, pour les enfants ordinaires ceux qui savent tricher. Car pour Hector, tricher n’est pas quelque chose de spontané, ni de facile. Et je dois avouer que j’exulte intérieurement. Découvrir qu’il a appris à tricher est une petite victoire.
Tricher est un comportement social complexe qui sous-tend qu’Hector ait intégré que ses parents attendent de lui qu’il ait une bonne note mais aussi qu’il pouvait obtenir un résultat en imitant ses camarades. Et l’imitation n’est pas quelque chose qui va de soi pour un autiste. Un souvenir douloureux me revient à l’esprit. Il avait alors 4 ans. Il avait souhaité faire du judo. Je l’ai emmené au dojo près de chez nous pour un cours d’essai. J’ai parlé rapidement au prof en lui disant qu’Hector était autiste - à l’époque je ne
savais pas encore que dire simplement que mon fils était autiste n’était pas une information suffisante pour faire comprendre son mode de fonctionnement, ses différences. J’avais la possibilité de rester pendant le
cours qui consistait à enchaîner des mouvements de gymnastiques assez simples, réalisés seul ou en binôme. C’est là que sa différence m’a sauté à la figure : il ne parvenait pas à faire les exercices si le prof ne s’adressait pas explicitement à lui. Il ne savait pas se servir des autres comme modèle, il ne savait pas imiter. Ainsi, à un moment, quand l’enseignant a demandé auxenfants de s’asseoir, tous se sont assis sauf lui. Il n’avait peut-être pas entendu mais cela montrait surtout qu’il n’était pas capable de faire comme
les autres. Je me souviendrai toujours de la complète incompréhension dans le regard du prof à ce moment-là. J’ai compris qu’Hector ne ferait pas de judo.
Il n’était pas prêt.
Alors, quand Hector, aujourd’hui, me dit qu’il a réussi à tricher, en observant ses camarades, en surveillant son enseignant, tout cela sans se faire remarquer, j’ai juste envie de le prendre dans mes bras et de le féliciter…